Le danseur et chorégraphe franco-brésilien Calixto Neto lance son Pavillon à la Commune d’Aubervilliers pour lequel il réunit autour de lui des artistes qui, en se mettant à nu, affichent un rapport à soi et au monde puissamment engagé.
Deux solos. Un duo. Ce sont trois performances particulièrement audacieuses et d’une réjouissante radicalité qui ont ouvert ce week-end le Pavillon danse installé au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers et programmé avec les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Commencé le mois dernier avec deux opus signés d’un autre artiste brésilien, Renato Cruz, l’incontournable festival de danse contemporaine accompagne Calixto Neto pour ce temps fort qu’il a appelé Jardin Atlantique, du nom de son quartier natal dans la périphérie de Recife, où il a grandi et découvert la danse. Désormais installé en France, l’artiste développe un geste qui démontre une belle ouverture aux marges, à la diversité des corps et des identités. En témoigne, la présence d’artistes queers racisés qui performent dans une nudité frontale et cherchent à s’affranchir des différentes assignations auxquelles ils demeurent confrontés. En abordant des problématiques intimes et politiques, sociétales et décoloniales, les pièces présentées convoquent des siècles d’esclavage dont les conséquences sont encore prégnantes dans la société d’aujourd’hui. Elles tendent à bousculer, provoquer, jamais gratuitement, le regard du spectateur comme ses projections mentales, et à ouvrir tout un champ de réflexion sur la représentation historique et actuelle du corps noir. Une danse extrêmement investie sur le plan physique, comme du point de vue de l’expressivité et de l’émotion, se déploie à travers une déclinaison de mouvements et des postures qui renvoient à certains clichés stigmatisants. Ceux-ci sont délibérément endossés, tournés en dérision, pour mieux les déconstruire et les dénoncer.
Créée en 2004, O Samba do Crioulo Doido est une pièce que son chorégraphe, Luiz de Abreu, devenu aveugle, ne danse désormais plus. Elle est superbement reprise par Calixto Neto depuis 2020. Un court film projeté à l’issue de la représentation, et intitulé O Samba do Crioulo Doido : règle et compas, atteste de l’émouvante transmission entre ces artistes. Présence flamboyante, Calixto Neto paraît devant un rideau composé de multiples drapeaux brésiliens duquel se détache, d’abord en contre-jour, puis en pleine lumière, sa longue silhouette entièrement nue et juchée sur de hautes bottines argentées. Sur les rythmes balancés de musiques typiquement brésiliennes, il se déhanche avec lascivité, fait se mouvoir des bras aussi amples que légers, donne à voir le creux de son ventre, donne à lire entre les plis et replis de son dos, dans les torsions de ses omoplates. Il arbore un large sourire de façade et fait aussitôt tomber le masque. La dimension sensuelle et quasi burlesque de la proposition ne dissimule pas pour autant la brutalité latente de l’exposition du corps colonisé. Dans une scène marquante, Neto danse avec une bouche postiche aux lèvres rouges et pulpeuses outrageusement hypertrophiées. La force subversive du propos tient autant de la revendication que de la dénonciation.
Dans un autre rapport au public imposant une hyper-proximité entre les performeurs et les spectateurs qui partagent le même espace, Davi Pontes et Wallace Ferreira présentent Repertório n°3, puis Harald Beharie défend son Batty Bwoy. Ces pièces sont aussi empreintes d’une volonté de résister à la violence des discriminations auxquelles font face les minorités. Dans la première, le duo s’affirme et s’assume sur un mode léger en paradant dans une marche, un défilé d’aspect martial, mais qui laisse vite place à un jeu ludique et insolent en totale connivence avec la salle. L’autre, qui prend pour titre l’expression jamaïcaine homophobe « Batty Bwoy », qui signifie littéralement « garçon cul » et désigne de manière argotique et péjorative une personne homosexuelle, adopte une facture plus âpre et douloureuse. Sur une nappe sonore rock rageuse, l’interprète s’exhibe avec autant d’intensité que d’ambiguïté. La vigueur du désir se mêle à l’inconfort dans un élan qui oscille entre force et fragilité maximalisées. Bondissant avec spasmes sur un podium rouge, ou placé aux pieds et à la barbe des spectateurs, il évolue, totalement nu, avance à quatre pattes, traînant de longues tresses pareilles à des lianes qui fouettent le sol. Une fois debout, la bouche béante, la langue pendante, il fait entendre de tout son corps un hurlement muet qui laisse clairement s’échapper une blessure impossible à réprimer. Sa danse convulsive et organique saisit de sa versatilité émotionnelle, de ses effets nets de ruptures. Elle transpire d’une urgence et d’une évidente nécessité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pavillon danse Calixto Neto / Jardin Atlantique
Avec Calixto Neto, Davi Pontes et Wallace Ferreira, Harald Beharie, Sandra Sainte Rose Fanchine, Shereya, Wanjiru Kamuyu, Ametonyo Silva, Mariana Viana, Myriam Birara, Lais CastroCoréalisation Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Avec le soutien de l’Onda (Office National de Diffusion Artistique), du festival de danse brésilien Panorama, du CCN de Caen, du 19M
Avec la collaboration du cinéma Le Studio et des Laboratoires d’AubervilliersLa Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers
du 6 au 14 juin 2025
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